La révolution a été ajournée à cause de la pluie (Devido à chuva a revolução foi adiada)
Beau titre provocateur d’une exposition dont la commissaire est Patrícia Trindade, dans un endroit nommé, de manière appropriée, Plataforma Revolver (où les autres expositions m’ont moins attiré, à l’exception des photos aéronautiques de Pedro Guimarães), mais celle-ci (jusqu’au 22 novembre), qui regroupe une quinzaine d’artistes, pose de bonnes questions, sur la crise, l’histoire, la mémoire. Certes, certains des artistes présents y répondent de manière un peu trop anecdotique et sans prendre beaucoup de distance, vidéos purement documentaires de manifestations, posters politiques ou rap rageur. Mais un cheminement y transparaît, mariant la force de l’expression avec la pertinence du propos : d’abord, on est confronté à l’inscription “Portugal” à l’envers sur un mur. L’artiste Ângelo Ferreira de Sousa l’a inscrite ici, in situ, un geste simple et éloquent.
On en retrouve la trace un peu plus loin car, en 2006, cette inscription ornait les murs du pavillon du Portugal à Hanovre, puis ceux d’une exposition du Musée Serralves à Coimbra : elle y fut détruite par les services du Président de la République, qui devait prononcer là une conférence de presse, et ne pouvait le faire devant un tel symbole. Il n’y en a donc aucune photographie, mais Isabel Ribeiro a recréé pour lui par la peinture cet instant qui ne fut pas, comme un signe de fracture et de fragilité (ce dont Ferreira de Sousa semble être familier).
À côté du Portugal inversé, une flèche au mur indique le chemin, l’entrée dans un sombre tunnel fait de planches de bois, un chemin vers un futur rétrograde et inquiétant (André Banha, déjà remarqué là pour son sens de l’occupation d’un espace contraint par ses sculptures). Au bout du tunnel, débouchant sur la lumière, on arrive dans un pré (où, bien sûr, l’herbe est plus verte…) et devant une peinture murale tout à fait militante (Margarida Dias Coelho, Rodolfo Bispo et la commissaire). Il y a, en fait, me semble-t-il, aussi une bonne dose d’humour et de distanciation dans cette exposition, la commissaire jouant (j’espère, délibérément) sur l’ambiguïté pour nous donner à la fois de quoi nous indigner (et aller crier dans la rue), mais (et heureusement, sinon, ce ne serait que de l’agit prop) de quoi nous interroger sur nos mythes trop bien établis. Sans doute fait-elle sien l’adage de Montesquieu : “Il ne faut pas mettre du vinaigre dans ses écrits, il faut y mettre du sel.”
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